Ai’ta! a pris part aux « Rencontres régionales de la langue bretonne » organisées par le conseil régional de Bretagne le 15 octobre 2016.
Nous publions notre analyse à propos du bilan proposé par la région depuis 2004 et recensons nos propositions pour que soit mise en œuvre une politique linguistique volontariste par la région Bretagne.
Rencontres régionales de la langue bretonne : le compte-rendu d’Ai’ta!
Le samedi 15 octobre 2016, les “rencontres de la langue bretonne” étaient organisées par le conseil régional de Bretagne. Pour la première fois, l’ensemble des associations, groupes, entreprises qui travaillent tous les jours pour la langue bretonne était invité pour discuter d’une nouvelle politique linguistique pour la région.
Dans un premier temps, nous reviendrons sur le bilan du budget proposé par la région. Puis les propositions d’Ai’ta! pour la politique linguistique de la région seront listées.
1) Bilan de la politique linguistique de la région depuis 2004
Les représentants de la région ont fortement appuyé sur le fait que le budget consacré à la langue bretonne ait doublé depuis l’arrivée de l’équipe Le Drian. Il est en effet, passé de 3 millions d’euros en 2003 à 7,5 millions en 2016. Mais il n’a pas été précisé que ce budget est resté stable à 7,5 millions depuis 2011.
Ai’ta! a analysé ces budgets régionaux consacrés à la langue bretonne depuis 2005 ( source: chiffres du site internet de la région). Le budget est stable depuis 2011:
Mais il est en baisse lorsqu’on observe la dépense par habitant:
Quand on compare le budget consacré à la langue bretonne au budget global de la région Bretagne:
On peut conclure que le budget consacré à la langue bretonne par rapport au budget global de la région diminue depuis 2005 (0,57% en 2016).
Si nous comparons ce budget à celui d’autres pays (Corse, Catalogne et Pays de Galles), on peut voir que l’investissement par habitant de la région Bretagne est 3 fois moins important que celui de la Corse, 4 fois moins qu’au Pays de Galles que et 10 fois moins importante qu’en Catalogne.
Si l’effort consenti entre 2003 et 2011 de doublement du budget avait été maintenu, le budget de l’année 2017 consacré à la langue bretonne serait de 15 millions d’euros!
Si la région ne s’efforce pas de faire de la langue une de ses priorités qui le fera ?
2) Les propositions d’Ai’ta! pour la politique linguistique de la région
Suite à l’analyse précédente, le collectif Ai’ta! demande qu’il soit consacré 15 millions d’euros pour la langue bretonne d’ici 3 ans ( 4€ par habitant, 1 % du budget primitif de la région).
Ce sera un premier pas avant d’atteindre les budgets des pays qui mènent une politique linguistique efficace avec un objectif sur 10 ans d’atteindre 20€/habitant.
Nos propositions sont listées ci-dessous en fonction des commissions de travail qui se sont tenues le 15 octobre 2016.
1- Enseignement
« Au contraire de la Corse, de l’Alsace et du Pays basque, la Bretagne ne bénéficie d’aucun plan de développement ni d’aucun objectif clair porté par les autorités près de 40 ans après la création de la première école Diwan ». (source : chiffres de la rentrée 2015 de l’enseignement bilingue, office public de la langue bretonne)
Pourtant , la loi de programmation pour la refondation de l’école de la République, votée en juillet 2013, avec son article L 312-10 du code de l’Education ainsi rédigé, “Leur enseignement (ndlr : des langues et cultures régionales) est favorisé prioritairement dans les régions où elles sont en usage. Cet enseignement peut être dispensé tout a long de la scolarité selon des modalités définies par voie de convention entre L’Etat et les collectivités territoriales où ces langues sont en usage !”, a permis à certaines régions de mettre en place des conventions volontaristes en la matière.
C’est le cas de l’Alsace et de ses deux départements avec une convention cadre 2015-2030 et une convention operationnelle 2015-2018 signées en juin 2015 ou plus récemment la collectivité territoriale de Corse avec une convention signée le 2 novembre 2016 qui prévoit la généralisation de l’enseignement bilingue sur son territoire.
En Bretagne, la convention signée sur la transmission des langues de Bretagne, le 20 octobre 215, apparaît en complet décalage avec ces exemples précédents.
Les propositions :
- Changer la façon de présenter les chiffres
Il faut cesser de présenter les chiffres en mesurant seulement l’évolution au nombre d’élèves scolarisés en filières bilingues mais le rapporter à l’ensemble des élèves en Bretagne.
Selon la présentation des résultats, la vision des « progrès » change ainsi complètement:
En Alsace, 15% d’élèves scolarisés en filière bilingue dans le 1er degré. Dans la convention Etat-Région, signée en septembre 2015, il est prévu d’atteindre 25% d’élèves en filière bilingues en début de 6ème.
En Pays Basque-Nord, 39% des élèves en filières bilingues en 2016. En 2016, 65% des écoles proposent une filière bilingue.
En 2015, en région Bretagne (4 départements) , 1,84% d’élèves sont scolarisés en filière bilingue. En 2015, seules 7,7% des écoles proposaient une filière bilingue. 92 % des écoles maternelles de Bretagne ne proposent aucune filière bilingue ! (source : enseignement bilingue en 2015, office de la langue bretonne).
Et de l’autre côté de la Manche :…Le ministre du gouvernement du pays de Galles en charge du développement durable et de la langue galloises a déclaré au cours de la cérémonie d’ouverture d’un centre de formation le 15 octobre 2016: “The Government has set an aim of ensuring a million Welsh speakers by 2050. Our schools and children have a vital part to play in helping us achieve this aim ,they are the future of our language and our nation ». En 1960, le nombre de bretonnants et de galloisants était sensiblement le même. Au début de ce XXIème siècle, la situation est radicalement différente au pays de Galles et Bretagne.
- Prévoir des objectifs à long terme avec un véritable plan de développement
17 000 élèves en 2017 ce n’est pas assez! Il est déplorable que l’objectif de 20 000 enfants en 2020 soit le même que celui établi en 2004 qui était déjà l’objectif à atteindre en 2010… Si nous maintenons le rythme actuel de croissance, il faudra attendre 100 ans pour atteindre le taux actuel de scolarisation en alsacien! (source : enseignement bilingue en 2015, office de la langue bretonne).
- De nouveaux chiffres
Pour suivre le développement du système scolaire bilingue en Bretagne, il serait nécessaire d’avoir de nouveaux chiffres mesurés par l’Office. Par exemple, compléter les études par le nombre de classes bilingues par commune, le pourcentage de classes bilingues dans les écoles bilingues.
- Des objectifs pour la qualité de la langue
On ne peut pas annoncer un nombre d’élèves en filières bilingues s’ils ne peuvent pas s’exprimer en breton à la fin de leur parcours scolaire. En pays basque Nord, un plan d’objectifs linguistiques a été défini. Les écoles maternelles publiques et catholiques sont en outre autorisés par le biais d’un protocole dit expérimental à aller au delà de la parité horaire. Dans la convention cadre venant d’être signée avec l’Etat, en Corse, cette possibilité vient également d’être ouverte dans l’enseignement public.
- Elever le niveau de breton des enseignants, développer un plan de formation continue des enseignants
A la suite des 6 mois de formation longue, certains enseignants se retrouvent à enseigner aussitôt. Pour certains, il peut être trop tôt; il est donc nécessaire de proposer des formations d’approfondissement et de suivre des stages en classe avec des enseignants plus expérimentés. Pour les enseignants en poste, il s’agit également de proposer une réelle formation afin d’alméliore les pratiques de l’enseignement bilingue et pouvoir échanger régulièrement sur les difficultés et les réponses à apporter sur l’enseignement en/du breton (A titre de comparaison, la convention signée par l’Etat avec la collectivité territoriale de Corse en novembre 2016 prévoit des stages de formation longs de 45 h à 90 H avec un dispositif de d’enseignants bilingues remplaçants) .
- Obtenir dans le second degré une offre d’enseignement bilingue de proximité et la mise en place des mesures nécessaires afin de résorber la rupture de continuité entre le 1er et le 2nd degré (une politique de pôles cohérentes s’appuyant sur une offre solide dans le 1er degré, une parité horaire réelle des enseignements en breton et en français dans le second degré, une politique de sensibilisation des parents à la poursuite de la filière bilingue dans le second degré, transports adaptés) .
- Mise en place progressive de filières bilingues dans le 2nd degré technologique, professionnel agricole et maritime.
- Inciter les communes à former en langue bretonne les ASEM (agents spécialisés des écoles maternelles) , les AVS (auxilières de vie scolaire), les animateurs périscolaires dans les écoles maternelles et primaires.
Mette en place une politique d’offre de formation continue incitative par la région pour les écoles avec une aide pour le remplacement du personnel en formation.
- Développer à l’échelle de la bretgane une initiation à langue et à la culture bretonne dans le 1er degré
Cette possibilité est mentionnée dans la convention signée avec l’Etat en octobre 2015 : “Dans le premier degré , une attention particulière sera portée à à la possibilité d’offrir une sensibilisation à la langue et à la culture bretonne dans l’enseignement afin que les élèves puissent se familiariser avec le patrimoine régional y compris en daptant les outils pédagogiques nécessaires.” Mais aucune date, ni plan de formation des enseignants non brittophones, n’est prévu à ce jour …
- Mettre en place un véritable comité de suivi de la convention signée par la région avec l’Etat sur l’enseignement bilingue se réunissant au mois 3 fois par an
- Et surtout renégocier la convention actuelle (prévue sur la durée 2015-2020) avec une politique volontariste en la matière à l’instar des autres régions concernées (avec un objectif réévalué et un plan de développement pluriannuel chiffré et défini par département et zones géographiques, à décliner en plans d’actions annuelles) en y associant les départements bretons (Le Finistère a en effet voté le 20 octobre 2016 un schéma linguistique 2016-20121 qui prévoit de passer de 7 % de élèves scolarisés en filières bilingues à 10-15 % d’ici 6 ans).
2 – La formation continue et individuelle en breton
- Développer les formations de breton ainsi qu’en breton pour les agents publics (via le CNFPT notamment).
3 – Vie publique et présence de la langue bretonne dans la société.
- Conditionnaliser les subventions attribuées par le conseil régional
Obligation de prendre en compte la langue bretonne de façon paritaire avec le français lors de l’attribution de toute aide financière par la région à des collectivités, entreprises, organismes publics, associations dans le cadre des projets subventionnés. L’exemple à suivre est le département du Finistère qui vient de voter un schéma linguistique avec une telle mesure.
- Respecter la convention Etat-Région signée au mois d’octobre 2015, partie « développer l’usage des langues de Bretagne dans la vie quotidienne et l’espace public »
Depuis le mois d’octobre 2015 aucune avancée n’a eu lieu au niveau de la signalétique bilingue paritaire sur les voies express ou dans les gares. Ce sont pourtant les deux seuls points contenues dans ce domaine ! La région Bretagne doit être moteur pour mettre en application les souhaits qu’elle émet.
- Donner un nouveau souffle à la charte “Ya d’ar brezhoneg”
– Augmenter les moyens de l’Office public de la langue bretonne si nécessaire afin de redynamiser la charte. Il est inacceptable que des engagements pris par des collectivités notamment ne soient pas suivis. Le nombre de structures ayant atteint les niveaux 2 à 4 de la charte est extrêmement faible (seules 3 communes en Bretagne ont obtenu le niveau 3) et notamment en ce qui concerne les grandes villes (pour les communes de plus de 10 000 hab. ayant signé la charte : 10 n’ont aucune labellisation dont Brest, Guipavas, Guidel, Le Relecq-Kerhuon , 5 ont obtenu le niveau de certification niveau 1 mais y semblent « scotchées » depuis quelques années : Lorient – 01/07, Vannes – 12/07, Lanester- 03/10, Morlaix – 02/09. Seules 10 communes de plus de 10 000 hab ont obtenu le niveau 2 mais aucune n’est en niveau 3) . Très peu de communautés de communes ou d’agglomérations ont acté un réel engagement (3 communautés de communes ont été labellisées au niveau 2).
Un travail doit être mené afin de rappeler les objectifs à atteindre :
-Donner une véritable charge à l’Office d’un impulseur dans les collectivités locales pour développer la présence de la langue bretonne et non simplement répondre aux demandes comme c’est le cas actuellement.
-Travailler avec les ententes de pays pour que les niveaux prévus par les signataires soient atteints aux dates fixées.
-Pouvoir retirer la charte si aucun engagement n’est tenu par une collectivité locale.
4 – Médias et numérique
Tele
- Rendre “réel” le protocole d’accord sur le « projet audiovisuel breton » de la Région, signé en avril 2015 pour 3 ans, qui prévoit :
– ”une attention prioritaire aux langues de Bretagne en favorisant l’usage, notamment créatif, la connaissance et la transmission quels que soient les sujet abordés.”
– “ la mise en place d’une unité de programme thématique dédiée à son apprentissage et sa connaissance.”
– “La production et la diffusion de contenus en langue bretonne sur des sujets ne concernant pas spécifiquement la Bretagne”
Cela doit passer par :
- un budget dédié spécifiquement à la langue bretonne dans le budget audiovisuel voté par la région (2 M€ par an sur 3 ans) avec une planification pluriannuelle des programmes en nombre, en heures produites et par type d’émissions ( jeunes enfants, 6-10 ans, adolescents, sport, apprentissage de la langue bretonne, documentaires, informations, séries, films courts de fictions, talkshow..)
- le développement d’une plateforme numérique multisupport (ordinateur, téléviseur via la box, smartphone, tablette, console) pour les programmes en langue bretonne mettant à disposition le stock de programmes en langue bretonne existant, dont celui géré par la Cinémathèque de Bretagne, et reprenant également les programmes en breton diffusés sur les autres chaînes (France 3 Bretagne, Brezhoweb, Tébéo, TébéSud et TV Rennes).
Ce portail serait publié au sein des bouquets ADSL proposés par les FAI (Fournisseurs d’accès à Internet : Free, Orange,…) et représenterait un nouvel espace de diffusion avec un service de reprise (télévision de rattrapage et de VOD dont l’actuel BreizhVOD de Dizale serait une des composantes). Cette plateforme permettait une visibilité du stock de programmes existant en langue bretonne et des nouvelles émissions financées par la région. Elle renforcerait en outre la visibilité des programmes en langue bretonne en étant en phase avec l’évolution des usages de consommation des programmes audiovisuel hors TNT.
Radio
- Etre gestionnaire de la répartition des fréquences TV et radio à la place du CSA
- Appuyer les radios associatives pour créer une nouvelle radio à Rennes et Nantes (raktres radio kerne)
Cinema
- Créer une tournée de films pour les collèges, les lycées et les centres de formation
- Proposer des cours d’analyse des images à travers des films spécifiques
Magazines
- Aider les magazines pour le passage au numérique
TIC – Nouvelles technologies
- Créer une nouvelle branche interne (ou externe)« technologies numériques » au seinde l’Office Public de la langue bretonne pourdévelopper, coordonner et suivre les nouvelles technologies en breton( Systèmes d’exploitations : ordinateurs, smartphones, tablettes, Reconnaissance vocale : voix de synthèse, GPS, Jeux vidéos, applications mobiles, applications de traduction en ligne type Google translate, automates dans les supermarchés, stations services, banques, billetteries, événementiel…)
- Les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication sont omniprésentes dans notre société actuelle. La Bretagne est un territoire d’innovation à plus d’un titre, en témoigne le développement du réseau Télécom Bretagne, des cantines numériques, des fablabs et autres lieux de “coworking”. Il est grand temps d’engager pleinement la Bretagne dans le développement et l’extension de services, au moyen de nouvelles technologies, à des fins linguistiques ou à usages linguistiques multiples. La mise en service du .BZH révèle de nombreux projets, nécessitant des infrastructures et solutions informatiques et budgets plus ou moins conséquents. Investir les NTIC au service de la langue bretonne est une priorité.
- Des plateformes se lancent ou sont en recherches de financement : communautés (Stag), covoiturage (War an hent), loisirs et voyages (Bev). Des associations telles que An Drouizig ou Les Chats Cosmiques se consacrent à la traduction de logiciels libres. D’autres encore programment des formations Communication/Web à destination de responsables et bénévoles associatifs bretonnnants qui ne demandent qu’à être formés aux méthodologies efficientes et outils actuels.
- La traduction de Facebook a été permise par la mobilisation de nombreux bénévoles, comme cela est le cas de divers logiciels (Firefox, Libre Office, Ubuntu…). La traduction de Twitter, SnapChat et autres réseaux sociaux innovants est désormais attendue. Mais le bénévolat a ses limites, il est donc nécessaire d’accompagner et professionnaliser ce secteur afin de garantir un travail pérenne, sérieux et de qualité, pour un plus grand nombre de programmes.
5 – Les pratiques culturelles en breton
- Soutenir aussi la création et l’écriture de livres
Il est bien d’aider l’édition et la traduction de livres. Mais il serait encore mieux de soutenir aussi la création et l’écriture de livres. Soutenir les écrivains, la formation à l’écriture.
- Faire le lien entre les ententes de pays et l’office public de la langue bretonne pour les traductions
Afin de proposer des traductions qui correspondent au territoire et au niveau des bretonnants de naissance. Exemple du tramway à Brest: traduire “Personne à mobilité réduite” par “Tud dalc’het en o c’heflusk”, une traduction du type “Tud o deus poan da vale”aurait pu être plus compréhensible.
- Obliger les salles de spectacles , salles de musiques actuelles soutenues par la région à proposer aussi des spectacles, concerts en breton, ainsi que des résidences pour les compagnies, groupes créant en langue bretonne !
- Créer un centre d’arts contemporains
Un centre où on pourrait créer, répéter et monter des spectacles de théâtre, de musique, de danse, d’arts plastiques. Afin de favoriser les liens entre ces différents arts et les troupes professionnelles et amateurs.